L’ena hors les murs
Magazine des Anciens Elèves de l’ENA
Dossier
Madagascar, le développement
à cœur
Hors
série/avril 2012
Pages
12-13
Propos
recueillis par Bodo Andrianarisoa.
Derrière une diversité
apparente, s’érige une authentique
unité des Malgaches
Entretien
avec
Vahömbey Rabearison
Anthropologue
Artiste, chanteur,
philosophe mais surtout analyste subtil de la réalité malgache, Vahömbey
Rabearison a développé un projet de société qui promeut l’unité et la communion
d’esprit. De quoi assurer des siècles de paix et de sérénité pour les
Malgaches…
Décryptage.
Vahömbey, on vous connaît comme artiste et comme
philosophe, mais récemment, vous avez présenté un projet de société pour
l’avenir de Madagascar. Pouvez-vous nous en parler ?
FAnambinana MAdagasikara, notre mouvement humaniste, est le premier à avoir annoncé
publiquement ma candidature aux prochaines présidentielles dès le 06 juillet
2009. Nous avons publié en Août 2010 notre projet de société que nous ne
cessons d’affiner sur fanambinanamadagasikara.blogspot.com
Tanin-taranaka,
terre des descendants, est un concept
en vigueur à l’Académie Malagasy. Pour bâtir ce futur sur le socle du pré carré
identitaire réduit au terroir familial ou au territoire clanique, il nous faut
actualiser en permanence la dynamique culturelle de l’identité nationale.
Vouloir évoluer ensemble
consiste à vivifier sans répit l’idéal patrimonial de la Nation - Firenena – qui symbolise le cœur et
l’âme de la Patrie – Tanindrazana.
Cette communion d’esprit autour du bien commun s’avère essentielle pour la
prospérité de la postérité.
Notre vision politique du « Jery donia » - le mieux-vivre -
s’articule autour de cette conceptualisation qu’on parle de solidarité, de
progrès, ou de toute autre noble visée pour la société. Au politique de fournir
l’impulsion nécessaire, et Madagasikara
se réveillera. Le monde nous comptera bientôt parmi les nations exemplaires.
Si vous nous parliez du développement de Madagascar,
que considéreriez-vous comme le frein le plus difficile, et pourquoi ?
(Sourire). L’adjectif difficile
compte parmi les mots bannis de mon vocabulaire ordinaire. Disons plutôt que le
frein le plus visible est celui de la corruption. Sa chaîne internationale étrangle
en bout de laisse les plus vulnérables dans les pays mal gouvernés. Ceux qui
l’ont carrément adoptée comme style de vie veulent la banaliser. Il suffit d’inverser
la tendance. Remettre les bonnes normes sur les rails en sanctionnant les
déviants tout en motivant les méritants.
D’ailleurs, nous voyons tous
le vent se lever sur le monde entier. Il présage le crépuscule des crapules. Les
cartes s’envolent pour mieux se redistribuer, pourquoi pas sur le tapis d’un New Deal keynésien ? (1) Entre
autres alternatives rédemptrices de la dignité humaine, bien sûr. En tout cas,
notre choix est fait : prospérité égale intégrité.
Et qu’estimez-vous comme la solution la plus
efficace ? Et de quelle manière la mettre en œuvre ?
Les mesures immédiatement applicables relèvent de
notre propre volonté politique.
Primo, éthique sans faille
des gouvernants. A commencer par le Président de la République. Cette première
personnalité de l’Etat doit incarner l’éthique. Il sert de modèle irréprochable
et fait preuve d’une volonté inflexible dans ce sens. La transparence se doit
d’être optimale sur ce point précis. C’est la condition sine qua non pour conquérir, sauvegarder et rentabiliser la
confiance de tous les acteurs de la nation. Ce facteur est crucial, fondateur, stabilisateur
et mobilisateur.
Secundo, dépolitiser
l’administration. C’est la raison majeure de notre décision de n’exercer qu’un unique
mandat présidentiel. Dès lors, inutile d’user de trafic d’influence, de
marchander ou de manipuler l’autorité publique en vue d’une réélection,
éventualité à éliminer d’office.
Tertio, réintroduire
l’éducation civique en milieu scolaire et renforcer l’éducation citoyenne par
une vaste campagne de communication pour soutenir les actions sur terrain de la
société civile. Parallèlement, renforcer les lois tout en veillant
soigneusement sur leurs modalités d’application et leurs conditions
d’exécution.
Soit dit, en passant, notre
incohérence en matière de Loi constitue aujourd’hui l’une de nos failles les
plus béantes. Comme le virus de la corruption s’y engraisse, il est nécessaire
d’assainir le système pour enrayer l’infection. Donc, priorité absolue : installer
la Haute Cour de Justice. Notre pari est de réussir la meilleure gouvernance
qui soit.
Last but not least, pour encourager la population à surmonter la tentation de la
corruption, juguler la pauvreté dans notre société fragilisée par une
verticalité démesurée. Au sommet, une minorité dirigeante étouffée par les
agissements des prédateurs et des profiteurs. Au milieu, une classe moyenne en
lambeaux. A la base, 11 millions de miséreux écrasés sous le plancher, soit
plus de la moitié de la population.
Notre programme politique prônant
la justice sociale saura y remédier. Notre paradigme macroéconomique se
fonde sur le travail décent et le plein
emploi productif pour générer le mieux-vivre,
l’envie de développement et la culture de la prospérité. Nous encouragerons la
créativité, auprès de nos jeunes en particulier.
Les Malgaches ont-ils gardé les valeurs qui ont fait
la réputation des anciens et qui les avaient fait respecter comme des sages ?
Bonté divine ! Votre
interrogation est plus un questionnement qu’une simple question. Oui
globalement, avec les réserves d’usage. Nonobstant tout éventuel résultat
d’enquêtes objectives à grande échelle sur l’éducation formelle, non-formelle
et informelle, l’accès aux informations, l’assimilation de la société de
consommation et aux autres déterminants possibles, mon argumentaire ne s’inscrira
que dans un cadre exclusivement générique.
La particularité culturelle du
Malagasy est sa foi en sa proximité
avec Dieu, Père-Créateur. Diverses formes de religion et de mode d’adoration
sont là pour en témoigner. La conception cosmogonique peut différer selon les
degrés de rigorisme et de syncrétisme adoptés.
Quoiqu’il en soit, épris de
spiritualité, les Malagasy s’efforcent
d’entretenir leurs principaux référents axiologiques. Sauvegarder les valeurs
morales leur permet de se maintenir dans le flux de la vie. Ce constat plaide
dans le sens d’une constante, de génération en génération.
Elargissons notre point de
vue. Toute table de valeurs s’appuie sur le système normatif en vigueur dans le
milieu ambiant. Or nos réalités locales offrent toute une palette de nuances
culturelles d’un bout à l’autre du pays. Caractère pudique et strict sur les
plateaux, tendance mystico-esthétique dans le sud profond, enjouement et moeurs
libertines dans le nord, etc. La notion même de valeur diffère donc
sensiblement entre ces échantillons de population.
Derrière cette diversité
apparente, s’érige pourtant une authentique unité. Celle-ci prend la forme
d’une structuration hiérarchique caractérisée par une subtile conjugaison de
l’aînesse et de la séniorité. La fonctionnalité d’un tel système permet de
contrôler et de garantir l’attachement de l’individu aux groupes d’appartenance
et/ou de référence. Qu’on parle de famille ou d’église.
Etre banni de sa communauté
identitaire est la pire sanction qui soit pour un Malagasy. Gare à toute velléité d’émancipation qui menace de désorganiser
le groupe. Toute initiative pour le progrès, qu’on parle de mieux-vivre ou de
développement, a intérêt à tirer adroitement profit de ce penchant pour la
grégarité. Autant dans ce cas, raisonner et agir en termes de dynamique
d’ensemble. La clé pour faire avancer les gens et bouger les choses: l’affect.
Cette mise en contexte
établie, disons qu’ainsi se conçoivent, se transmettent et s’appliquent les
valeurs existentielles. Immuables, ces dernières modulent leur expression au
gré du temps. Paresseusement quelques fois, puisque comparé à l’économique plus
véloce, l’idéologique a la carapace plus épaisse. Mais les valeurs s’adaptent
et se remoulent quand même assez aisément, la globalisation aidant.
Ici, la sagesse se rapproche
de l’intelligence. Celle du cœur de préférence. Seule l’estime des siens rend
vénérable tout véritable ancien. Témoin et passerelle du temps, il lui faut
avoir du liant. L’harmonie sociale est à ce prix. L’élan de solidarité aussi,
le fameux « fihavanana », point
focal de notre table de valeurs à caractère national.
Pour nous, un ancien est un raiamandreny, père et mère à la fois. Le
jour où Madagasikara disposera d’un
authentique raiamandreny à la tête de
la nation, nos valeurs originelles sauront nous transcender au-delà de toute
imagination. Puisse ce raiamandreny parvenir
à harmoniser ciel et terre tel un mpanazàry
et notre légendaire sagesse gagnera en renom.
Le message que vous avez à passer en ayant le
développement malgache à cœur ?
La sagesse malagasy parle de toko telo mahamasa-nahandro, les trois pierres du foyer d’où
s’élèvera le meilleur fumet. C’est pour évoquer la maturation d’un projet. Les
nôtres sont mieux-vivre, développement et prospérité. De quoi humaniser à
souhait la société.
Mot de la fin, franc sourire
et poignée de main ? La base de notre logotype est le trèfle à quatre
feuilles : foi, espérance, amour et chance. La générosité de la nature l’a
fait pousser dans notre jardin. Venez et prenez-en si vous voulez. Tout bienfait
croît quand il est partagé, vous savez.
(1) “Redistribution, global imbalances
and the financial and economic crisis”, international journal of
labour research, 2011 / Volume 3
/ Issue 1, International Labour Organization, Geneva, 2011. Author: Eckhard
Hein, Berlin School of Economics and Law.
ANDRIANJARA: crédit photo Vahömbey et design logotype FAnambinana MAdagasikara - FAMà
ANDRIANJARA: crédit photo Vahömbey et design logotype FAnambinana MAdagasikara - FAMà
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