Avertissement vigoureux d’un préposé de la sécurité publique, iAban’i Zéfiny :
« Arrêtez
de circuler ! Si vous franchissez cette limite, c’est à vos risques et
périls. Il y a trop d’ivrognes qui titubent le long de la route. Quand ils ne vous bloquent pas carrément le passage ! Les voyous, abrutis par la bière et surexcités par le rhum, aiment lancer des grosses pierres contre les vitres latérales, le pare-brise ou la lunette arrière ! Sinon, gare aux gros pavés ? On en fait pousser des
méchants tas à l’entrée des ponts. Dès que vous vous arrêtez, ... Par ici, la monnaie !
La bourse ou la vie. Et si vous résistez, c'est à la fois la bourse et la vie. »
A la nuit
tombante, autant donc éviter de bouger. Trop risqué de circuler le 26 juin en
soirée, qu’on soit taxi-brousse ou particulier. Voilà le tableau sur la RN 34, axe
Moyen Ouest - Antsirabe. Les gens s’enivrent pour fêter LE 26. Pour fêter l'Indépendance ? Plutôt pour remuer les comptes, oui ?! Faire la fête avant de régler les rancoeurs, les rancunes, les frustrations revanchardes, les
jalousies mâtinées de vengeance et tutti quanti, tout compromis dans les
orties. Beuverie, d'abord. Puis, beuverie. Et enfin, beuveries ! D'ailleurs, qu'y a-t-il d'autre à faire ?
Flash-back. Mardi 26 juin, 11 heures 45. Petite
commune rurale en pleine zone rouge. Défilé après les discours d’usage. Seuls
les élèves de l’école catholique se mettent en rang et s’y maintiennent sans
que leurs surveillants aient à hausser le ton. Seuls ceux-là entonneront un
chant patriotique tout en cadençant la marche.
L’une des institutrices de l’école publique est, ce
jour-là, particulièrement désolée. En charge des élèves préparant le CEPE, elle
passe outre les consignes de grève imposées par son syndicat en osant se
présenter à la cérémonie avec ses protégés. D’ailleurs, cette brave dame a
décidé de poursuivre son enseignement pour les quelques élèves désireux d’obtenir
leurs certificats. A l’école ? Non ! Les portes y sont cadenassées.
Donc, uniquement chez elle. Par terre, sur des nattes.
Braderie de la conscience professionnelle ?
Personne n’osera se prononcer à ce sujet. Braderie de la conscience patriotique ?
Cela y ressemble quand lors de la levée des couleurs et pendant l’hymne
national dans l’enceinte officielle, les musiques profanes hurlent toujours
dans les épi-bars d’à-côté. Dans la rue principale, seuls les vieux s’arrêtent,
se tiennent droit et ôtent leurs couvre-chefs malgré le soleil au zénith. Les
jeunes, quant à eux, continuent à déambuler, à s’interpeller et à rigoler. A
chacun, peut-être, son époque ? Et à chaque époque, ses valeurs ?
Mais comment reprocher quoi que ce soit à cette
espèce-là d’avenir de la nation quand on sait que dans certains grands bourgs,
la distribution des insignes nationaux de distinction honorifique – chevalier
de ceci et ordre de cela – aura duré des heures ce jour-là ?! Pour certains, il
suffisait de débourser pour se faire décorer. Parfois, sans aucun mérite à
valider.
Pire encore ! Que dire des corrompus notoires
et des criminels archiconnus qui auront aussi bénéficié des honneurs de la
république au nom du Président de la Haute Autorité de la Transition ? D’ailleurs, laquelle république ? Les témoins directs en
parlent, franchement dégoûtés ! « Braderie des honneurs, on aura tout
vu ! », disent-ils, la bile dans la bouche. Pour rajouter
cyniquement : « Comme toutes les bornes ont déjà disparu, aucune n’aura été finalement dépassée ! »
Zone rouge sur des kilomètres et des kilomètres carrés de tanety broussailleux ! Quelques poignées de gendarmes sans moyen de locomotion ni de télécommunication ! Dieu seul sait s’il y en a pourtant de consciencieux, volontaires et durs à cuire. Mais les faits sont têtus. Des paysans ruinés et surendettés, des villages entiers abandonnés, des bourgs de plus en plus surpeuplés de désoeuvrés ! Que de main d’œuvre bon marché pour les politicards et les usuriers !!
Les dahalo,
de plus en plus mythifiés à tort et mystifiés à raison, n’attendent plus la
saison sèche pour sévir. Unique échappatoire pour les propriétaires de zébus
épuisés par les razzias aveugles et meurtrières : brader leur cheptel pour
échapper à la barbarie des dahalo.
Assassinat par-ci, tuerie par-là ! La fureur, nourrie par la terreur, affecte l’opinion publique à un point tel que sur tout faciès inhabituel tombe
fatalement le soupçon. Et si par malheur, l’inconnu trimbale des amulettes ou
autres gris-gris, … Verdict immédiat et vindicte impitoyable !
Mais la réciproque se vérifie aussi. Certains noms
de village, catalogués comme fiefs des dahalo,
ne se prononcent qu’en chuchotant. Ils se font éviter même par les marchands ambulants. Là-bas, rapporte-t-on de bouche à oreille, règnent la sorcellerie et la magie. Noire, bien sûr. Leur cohabitation avec des monstres friands de sang leur alimenterait leur férocité de clans hermétiquement fermés. Malheur aux curieux !
Le résultat est là. Série de vendetta avec des
toiles de fond modulables selon les griefs. Au choix : différences de
statut et/ou de conviction. Enfouis sous les fractures entre villages rivaux,
les clivages se tapissent sournoisement : instruit / non-instruit et/ou animiste / pseudo-chrétien.
Est-on en face d’un méli-mélo encore facile à
dénouer ou d’un début de chaos à désamorcer en priorité ? S’interroge
l’auteur de ces lignes, un optimiste devant l’Eternel. Autant connaître, juste
pour voir, l’avis d’autrui à ce propos. Posons donc la question à iAban’i
Zéfiny, notre préposé de la sécurité publique :
« - Et
l’Etat de droit dans tout ça ?
-
Ah
oui ? Quel Etat ? Quel droit ? Vous pesez combien, vous ?
-
Euh,
… 72 kg.
-
Mais
non ! Vous avez combien ? Vous offrez combien ?
-
Je
ne comprends pas. Pourquoi ?
-
Mais
pour avoir le droit, voyons ! Le droit d’exister devant l’Etat. Sinon, ce
n’est pas la peine. Alors, vous offrez combien ?
-
Attendez,
je n’ai aucun arriéré d’impôts, ni de taxes non réglées. Alors, de quoi vous parlez ?
-
Du
privilège d’exister dans votre Etat de droit imaginaire. Si vous n’avez pas de
quoi vous payer une escorte bien armée, … Alors, soyez raisonnable. Attendez demain
pour circuler. Ici, vous ne craignez rien. Dormez là, vous ne nous payerez que
ce que vous voulez. »
Vu les circonstances, que les lecteurs pardonnent à
l’auteur sa discrétion, cette année-ci, au sujet de l’Indépendance.
En l’honneur de Iàban’i Zéfiny, des vieux qui
respectent toujours l’hymne national, des gendarmes héroïques envers et malgré
tout, et surtout des jeunes qui résistent aux dahalo au péril de leurs propres vies,
« Arahabaina
mbola velon’aina ê ! »
« Félicitations, ravi de vous voir encore
vivants ! »
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