Ny
mahaolona malagasy, l’humanité malagasy.
RABEARISON
Roland Dieu Donné VahÖmbey, 06.01.2014
Préambule
Mpiandry volavita, tsy tompony fa mpamerina an-dohany. Le gardien du zébu sacré n’en est
pas le propriétaire. Il est simplement celui qui le remet dans le droit chemin.
Seul Dieu, Père-Créateur, détient le pouvoir sacré évoqué par la
caractéristique particulière du zébu. La symbolique s’avère explicite. Tout véritable
pouvoir s’authentifie par le sacré dont le divin constitue l’essence.
La particularité culturelle
du malagasy est sa foi en sa proximité avec Dieu, Père-Créateur. Cela
transparaît dans sa conception cosmogonique, sa table de valeurs, son système
normatif, son mode de fonctionnement économique, son système de reproduction
sociale et sa compréhension de la perpétuation ontologique. Le malagasy n’existe que grâce à Dieu
qui lui a créé les pieds et les mains - naàry tongotra aman-tànana – avant d’élire demeure au sommet de sa
tête. Aza ny lohasaha mangina no jerena fa Andriamanitra
ao antampon’ny loha.
Ainsi, dans la vision du
monde malagasy, le culturel se fonderait surtout sur le spirituel. Un tel
postulat saura-t-il s’accorder avec les réalités contemporaines de la
globalisation et du cyberespace, autrement dit de la modernité ? Vieille problématique
que nous avons toujours abordée sous l’angle “Déterminisme culturel et devenir
de l’homme”. Mais la situation générale étant aujourd’hui à Madagasikara
dangereusement tiraillée entre déchirures politiques, revers économiques,
fiasco social et déroute psychologique, difficile d’aborder en public nos
sujets fétiches de renouveau de l’Être malagasy et de prospérité de la Nation
sans passer pour un encombrant utopiste !
Or nous nous convainquons que
c’est le moment ou jamais de faire preuve d’idéalisme pragmatique et de
métamorphoser nos pseudo-handicaps en opportunités. Notre situation actuelle
est des plus fécondes puisqu’elle ne nous offre comme option que de rebondir
individuellement à partir de nous-mêmes tout en bouleversant les standards
inopérants et tout en brisant les moules désuets. Pour en finir avec nos carcans
et nos oeillères, demandons-nous qui nous sommes individuellement. A chacun d’y
répondre de son côté en toute intimité.
Puis questionnons-nous sur notre identité commune. Ou mieux encore, sur
la nature du lien intrinsèque qui nous attache tous à cette terre sacrée de
Madagasikara et qui, forcément, nous unit entre nous. Puisse cet article
intitulé “Ny mahaolona malagasy,
l’humanité malagasy” nous aider à voir plus clair dans ce sens et à nous
positionner en conséquence dans nos entreprises citoyennes quotidiennes.
En clair, soyons plus mûrs !
Il est insensé de nous meurtrir entre nous en nous traitant méchamment de noms d’animaux.
Devenons plus matures ! Aidons l’Etat à gagner en puissance si nous voulons
nous-mêmes devenir plus forts. Mordons-nous la langue au lieu de proférer des
insanités. Plutôt que du fiel, mettons-y du miel. Il nous appartient de le décider. Vivons
mieux désormais.
Les jalons étant posés, abordons
désormais les quatre rubriques de notre argumentaire qui se veut résolument prospectiviste: souche, tronc, feuillage et feuillaison.
1. Souche
Pour mieux appréhender le mahaolona malagasy, l’humanité malagasy,
examinons de près le soubassement logique établi par Dzaovelo-Jao Robert (1) : olombelona puis olombanona
et enfin olonkendry. Pour ainsi dire,
humain vivant. Puis, humain responsable. Et enfin, humain sage. La maturation culturelle s’opère par palier.
Primo, se sentir partie intégrante du milieu naturel. Secundo, se comporter en
individu responsable au sein de la communauté d’appartenance. Et tertio, se
forger soi-même en prenant soin du divin enfoui en soi.
Faire preuve de sagesse signifie s’occuper de ce divin qui a vocation de
croître. C’est entretenir en soi le Maha-Olona,
le divin en l’humain. Le Maha-Olona,
c’est-à-dire ce qui fait l’homme, c’est Dieu. S’en occuper équivaut à accélérer
la dynamique du mahaolona, l’élan de
transcendance de l’homme qui connecte son âme avec celle de Dieu. Le bon sens commun
et l’expérience populaire n’ont-ils déjà accordé rang de vérité établie à cette
jonction spirituelle ? Ny fanahy no mahaolona.
Seul
l’individu qui parvient à épuiser ce processus de modélisation jouira de la reconnaissance
publique de bon aloi qu’est « ‘Zany ka olona ! ». Ce
compliment traduit la juste mesure d’une humanité noble et pleine quoique, par
nature, indéfiniment perfectible. Par extension, le mahaolona peut donc s’assimiler au processus qui soutient
l’avènement de l’homme générique et authentique : Olona. Ce dernier, divinement enrichi, irradie de chaleur humaine.
Empli d’empathie et débordant de sympathie, le fihavanana - élan de solidarité – se cristallise en lui.
Précisons
aussi que seul le Olona méritera le
statut de razana – ancêtre, auxiliaire
du Père-Créateur référence ultime de toute généalogie - quand il aura trépassé.
Les siens l’évoqueront pour leur apporter bénédiction puisqu’il leur aura déjà témoigné
une attention bienveillante dès son existence terrestre. A l’exemple de Dieu
aimant sans condition ses enfants tel un père plein de mansuétude. Sinon, le
verdict populaire tombera : « Raha
razana tsy hitaha, mifohaza hiady vomanga !». Moralité : tout
défunt n’est pas obligatoirement ancêtre. Devenir razana se mérite. L’ancestralité s’impose dans la vision du monde
malagasy comme la conformité au genos qui fusionne avec le logos universel au sein de la totalité du cosmos.
Ainsi, chaque malagasy aurait intérêt à bien développer son humanité dès
son vivant. Un cadre de référence éprouvé par des expériences parfois séculaires
lui est d’ailleurs traditionnellement proposé à cet effet. Tant qu’il le
souhaitera, il pourra bénéficier du soutien d’une structuration
hiérarchique, caractérisée par une subtile conjugaison de l’aînesse et de la
séniorité, dont la fonctionnalité permet de contrôler et de garantir
l’attachement de l’individu aux groupes d’appartenance et/ou de référence. Qu’on
parle de famille, de congrégation ou de tout autre noyau associatif. Etre banni
de sa communauté identitaire est la pire sanction qui soit pour un malagasy.
Gare à toute velléité d’émancipation qui menace de
désorganiser le groupe. Toute initiative pour le progrès, qu’on parle de
mieux-vivre ou de développement, a intérêt à tirer adroitement profit de ce
penchant pour la grégarité. Autant dans ce cas, raisonner et agir en termes de
dynamique d’ensemble. La clé pour faire avancer les gens et bouger les choses:
l’affect.
2. Tronc
Cette mise en contexte établie, disons qu’ainsi se
conçoivent, se transmettent et s’appliquent les valeurs existentielles.
Immuables, ces dernières modulent leur expression au gré du temps.
Paresseusement quelques fois, puisque comparé à l’économique plus véloce,
l’idéologique a la carapace plus épaisse. Mais les valeurs s’adaptent et se
remoulent quand même assez aisément, la mondialisation aidant.
Ici,
la sagesse se rapproche de l’intelligence. Celle du cœur de préférence. Seule
l’estime des siens rend vénérable tout véritable ancien, raiamandreny père et mère à la fois. Témoin et passerelle du temps,
il lui faut avoir du liant. L’harmonie sociale est à ce prix. L’élan de
solidarité aussi, le fameux « fihavanana
» point focal de notre table de valeurs à caractère national qu’on se
définisse identitairement dans l’espace ou qu’on s’inscrive héréditairement
dans la durée.
Depuis les temps immémoriaux
avec celui de Lémuria comme repère, dans l’inconscient collectif malagasy
scintille un éclat de sagesse vivifié au fil du peuplement : vazimba (2), austronésien, malais,
hindou, juif, arabe, africain, européen, indo-pakistanais, chinois, ... De quoi
désarçonner les observateurs habitués à interpréter fébrilement des traces de
civilisation matérielle ! Et dérouter les comploteurs patentés de guerre
civile, régulièrement avortée malgré la récurrence des crises sociopolitiques.
A croire que l’authenticité des
malagasy se serait enfouie dans leurs génomes pour ne s’exprimer qu’à travers
leur sens aigu de la spiritualité. Face à leurs difficultés quotidiennes pourtant
mises en épingle par des statistiques aussi savantes qu’inexorables, les
malagasy semblent demeurer incroyablement stoïques. Sont-ils résignés ou
indifférents ? Aux verdicts fatalistes, peut-être opposent-ils simplement
l’optimisme des croyants. Andriamanitra tsy
andrin’ny hafa, andriny hatrany. La sagesse, générée par la foi, permet de se concilier le temps. Cela a
un nom, l’espérance. Celle qui profitera à la descendance.
Quoique le présent puisse parfois imposer de désagrément, à la volonté
d’exister se mêlent toujours des ressources génératrices de résistance. Il faut
avoir déjà souffert dans sa chair pour réaliser combien la somme des instants
qui constituent un moment de désagrément, a aussi quelque chose d’anésthésiant
et, paradoxalement, de revigorant. Dans l’obscurité la plus dense se tapit une
présence indéfinissable mais intense. Au plus profond de l’incertitude, en deçà
de l’instinct de survie, résonneront l’appel à la vie, l’ode à la création et
l’invite à la procréation. Autant de fois qu’il le faudra.
3. Feuillage
Tanin-taranaka, terre
des descendants, est un concept en
vigueur à l’Académie Malagasy. Pour bâtir ce futur sur le socle du pré carré identitaire
réduit au terroir familial ou au territoire clanique, il faut actualiser en
permanence la dynamique culturelle de l’identité nationale. Vouloir évoluer
ensemble consiste à vivifier sans répit l’idéal patrimonial de la Nation - Firenena – qui symbolise le cœur et
l’âme de la Patrie – Tanindrazana.
Cette communion d’esprit autour du bien commun s’avère essentielle pour la
prospérité de la postérité.
La vision politique du «
Jery donia » - le mieux-vivre - s’articule autour de cette
conceptualisation qu’on parle de solidarité, de progrès, ou de toute autre
noble visée pour la
société. Au politique de fournir l’impulsion nécessaire et les malagasy se
lèveront pour faire bloc derrière tout leader suffisamment juste et sincère
pour être à même d’actionner la justice pour une meilleure mobilité sociale.
Nous
sommes en 2014. Il doit être enfin permis de rêver d’un paradigme
macroéconomique qui sache se fonder sur
le travail décent et le plein emploi productif pour générer le mieux-vivre, l’envie de
développement et la culture de la prospérité. Un élan qui saura aussi encourager
en totalité la créativité auprès des jeunes en particulier, ainsi que le sens
conventionnel ou non de l’étude et de la recherche applicable à grande échelle.
Même au prix de multiples tâtonnements, peu importe. L’essentiel est de
s’améliorer et de se sentir encouragé d’avancer.
Il est ici question d’état d’esprit face à l’idée même de
progrès. De là découle l’attitude la mieux appropriée pour engendrer la
prospérité. L’abondance pour se matérialiser a d’abord besoin d’être ressentie
d’avance, souhaitée, désirée, pensée et imaginée. En somme, être idéalisée.
Aussi ne suffit-il pas de courber l’échine pour s’épuiser à tracer des sillons.
Il est impératif d’accompagner de beaux souhaits les graines à planter. Puis
les regarder pousser. Contempler en silence et se féliciter d’avoir participé
au flux de la création. Vouloir pour avoir.
Ce qui peut ici s’assimiler à un ancrage dans le réel le
plus banal met en exergue une posture fondamentale dont la singularité est
d’être transposable. L’adopter aide à libérer
les meilleures initiatives en vue d’une extension de perspective aux confins de
l’imaginable. Dès lors, que manquerait-il aux malagasy d’aujourd’hui sinon une
sorte d’extra-lucidité capable de légitimer la témérité ? Il est temps,
par exemple, de se repositionner intelligemment sur l’échiquier international
des rapports de force. L’équilibre mondial est à la recherche d’un meilleur
point d’appui. Autant profiter de ce temps de latence pour diagnostiquer à fond
nos crises à répétition.
4. Feuillaison
La bonne assise de notre Quatrième République dépendra des
soins que nous saurons apporter au concept même de prospective. Et surtout à
son applicabilité. Notre approche aura évidemment intérêt à être modulable en
fonction des paramètres à prendre en compte comme la définition du
contexte, le champ d’intervention, l’objet d’examen, le sujet en question, etc.
Sans sous-estimer non plus les effets et les contre-effets de la démarche en
soi puisque toute prospective obéit à une nécessité, celle du changement. Elle
ne s’entreprend que dans l’optique d’une
réorientation de vue et d’une amélioration de l’existant en
vue d’une réforme ou carrément d’une refonte de fond en comble.
Or, rappelons-nous. Même si nous avons affaire à l’humanité
malagasy, notre problématique doit se centrer sur l’humain en tant que tel avant
tout. Puis à la fois de sa situation présente et de son devenir. Ainsi que sur
tous les détails qui font sa complexité. Nous devons tenir compte de son vécu
comme de ses aspirations, de son potentiel comme de ses limites, de ses besoins
comme de ses affects. En clair, nous devons parvenir à objectiver même ce qui
peut se juger onirique puisque l’imaginaire est la meilleure arme de celui qui
rêve de volonté de puissance. Et c’est le cas de tout un chacun où qu’il se
trouve. Tout le monde veut chaque jour vivre mieux que la veille. Ou du moins
en avoir l’impression. Et être persuadé d’avoir raison.
Si de ce point de vue, le terrain peut sembler aussi
favorable, qu’est-ce qui manque à Madagasikara comme déclencheur pour qu’un
effet de masse s’ébranle dans un sens constructif, positif, voire
positiviste ? Subsisterait-il quelque part des relents de fatalisme de
mauvaise facture, du genre poubelles de l’histoire ? Armons-nous des
meilleures dispositions pour décrypter les causes les plus enfouies de nos
blocages psychosociaux. Augmentons nos chances de renaissance en nous pliant de
bon cœur aux prescriptions d’une catharsis libératrice. Entre autres lignes
d’action à mettre en oeuvre à l’échelle de la nation, pourquoi ne pas passer au
crible de la justice transitionnelle (3) le
fameux mahaolona malagasy que cet
article s’est tant attaché à défendre, par exemple ?
Débutons par les tréfonds intemporels de notre inconscient
collectif. Ne nous contentons pas des strates historiques mais soulevons
jusqu’aux non-dits de nos mythes fondateurs. Faisons de notre legs immatériel vazimba l’un de nos fils conducteurs principaux.
Puis glissons le long du temps. Interrogeons chaque sédiment. Assumons nos
heurts patents. Disséquons nos conflits larvés. Que des réjouissances saluent
aussi chaque confluence !
Citons juste à titre d’indication le Ziva (4). Ce système de parenté, dénommé
à plaisanterie, représente la forme
contractuelle la plus manifeste de l’alliance fraternelle entre groupes de
souche identitaire différente. Largement pratiqué, il ne constitue que la
partie la plus accessible de notre panoplie traditionnelle en matière de
tissage de liens humains au bénéfice de la paix sociale. D’autres outils du
même acabit nous attendent dans le coffre à sagesse de nos ancêtres. Faisons preuve
d’ouverture de cœur et d’esprit avant d’y toucher au nom du bien commun.
Soyons judicieux. Reconsidérons à raison notre acception du
patrimoine matériel, immatériel, cérémoniel et rituel. Réactivons notre sens de
la symbolique. Privilégions le fonctionnel mais sachons sauvegarder
précieusement le spirituel.
Et si l’essentiel, en vérité, se confondait avec l’émotionnel,
… Serait-ce là le levier ?
En effet, qui sait ?
Notes:
(1)
DZAOVELO –JAO Robert, Revue ISTPM n°
11, 1991.
(2)
VAZIMBA : peuplement proto-malagasy
situé aux confins de l’histoire nationale. Evoquer son existence formelle, dans
un cadre conceptuel, signifie faire appel à la symbolique du sacré enfoui dans
les mythes fondateurs de MADAGASIKARA, terre d’élection des merveilles
naturelles et des mystères culturels.
(3)
Voir Annexe « Les questions de justice
transitionnelle »