mercredi 18 janvier 2012

ITW L'Hebdo de Madagascar du 06 janvier, version originale.

Version originale de l'interview de VAHöMBEY, parution dans l'Hebdo de Madagascar N° 0360 du vendredi 6 au jeudi 12 janvier 2012. Propos recueillis par Haingo Rarivoson. 




Artiste-Musicien.

Candidat aux présidentielles.






















"Le culturel est le début et la fin de tout"
On connaît le philosophe, l’anthropologue et l’ethnomusicologue. Mais Vahömbey est aussi un ex-enseignant à l’université, consultant en coaching et communication. Il développe aujourd'hui l’ingénierie culturelle pour devenir proactif à plus grande échelle. Également poète, musicien et instructeur de karaté-do, Vahömbey est aujourd'hui politicien par conviction. Et il n'entend pas parler la langue de bois.
 Y-a-t-il selon vous, une philosophie propre au Malgache ?
Philosopher, c’est penser et exister pour donner sens à la vie. Quand on devient de plus en plus attentif, on se crée une vision du monde. On intègre mieux les spécificités culturelles pour les exprimer de façon plus explicite. Par exemple, le soubassement des références identitaires : famille, clan, ethnie, peuple et race. Ou le fondement des croyances et des pratiques religieuses : animiste, panthéiste et monothéiste. Voire, l’assise des doctrines politico-économiques. Aussi, parler de philosophie malagasy amène-t-il à s’interroger sur une vision du monde hypothétiquement commune à tout un peuple. Plutôt délicat comme sujet, non ? Voilà pourquoi, il compte parmi les thèmes évoqués dans mon livre, un essai intitulé " Sahalanitra - Jardin du ciel - Garden of heaven ", à paraître cette année-ci.
Quelle serait cette vision hypothétiquement commune ?
À mon avis, la particularité culturelle du Malagasy est sa proximité avec Dieu, Père-créateur. Tout découle de ce postulat : la conception cosmogonique, la table des valeurs, le système normatif et le mode de production économique. Considérer à sa juste valeur l’identité nationale, et notamment sa reproduction, contraint le philosophe avide de vérité à s’interroger au moins sur ces aspects-là. Quelle résolution concrète adopter ? Bâtissons ensemble le tanin-taranaka (1), à la fois terre des descendants et patrimoine universel de l’humanité, pour donner consistance au Tanindrazana. Faisons-en une authentique Patrie et arrêtons de le réduire à notre pré carré ancestral de provenance ! Là où se localise le caveau ou le poteau tutélaire, hazomanga. Enrichissons-nous de nos différences au lieu d’en faire nos entraves ou nos geôles. L’hypocrisie ambiante nous amène trop souvent à affirmer que l’enfer, c’est les autres. Si nous souhaitons les voir changer de mentalité, ce dont tout le monde parle, commençons par nous améliorer nous-mêmes d’abord. Incarnons le modèle du Malagasy idéal, résolument incorruptible pour commencer, que nous voulons voir enfin émerger pour ce troisième millénaire. Nous sommes tous humains, créatures de Dieu sans aucune discrimination, d’abord et avant tout.
Vous avez toujours véhiculé l’idée du Mahaolona,  du Fiarahamonina. Quelles sont vos définitions de ces termes ?
Dzaovelo-Jao Robert, chercheur universitaire, énonçait déjà dans la revue numéro 11 de l’ISTPM parue en 1991 : olombelona puis olom-banona et enfin olon-kendry. Humain vivant, responsable et sage. Pour que la société puisse apprécier« Izany ka olona ! », il faut cultiver et entretenir en soi le Maha-Olona, le divin en l’humain. Grâce à l’éducation reçue, se sentir partie intégrante du milieu naturel et se comporter en responsable dans le milieu social. Finir par se forger sa propre éducation en aidant le divin à s’épanouir à l’intérieur de soi. Telle est la sagesse. Le Maha-Olona, ce qui fait l’homme, c’est Dieu. Le mahaolona, c’est la transcendance de l’homme qui connecte son âme avec celle de Dieu. « Ny fanahy no mahaolona. » Par extension, le mahaolona peut s’assimiler au processus qui soutient l’avènement de l’homme générique et authentique : Olona. Ce dernier, divinement enrichi, irradie de chaleur humaine et génère naturellement autour de lui l’élan de solidarité - fihavanana – liant de l’harmonie sociale, le fiarahamonina. En définitive, seul le Olona méritera le statut de razana – ancêtre - quand il aura trépassé. Les siens l’évoqueront pour leur apporter bénédiction. Pourquoi ? Parce qu’il leur aura porté une attention généreuse et soutenue durant son existence terrestre. À l’exemple de Dieu aimant sans conditions ses enfants tel un père plein de mansuétude. Sinon, le verdict populaire tombera : « Raha razana tsy hitaha, mifohaza hiady vomanga ». Tout défunt n’est donc pas obligatoirement ancêtre. Devenir razana se mérite. 
Vous êtes également un farouche défenseur de la langue malgache. Mais le culturel est-il tout ?
Le culturel, dont la langue est un élément-clé, détermine tout. Qu’on parle économique, social, politique, éthique, esthétique ou mystique. La plus grossière erreur commise par les concepteurs du fameux MAP du régime déchu, a été de reléguer le culturel en bout de chaîne. Vérifiez si vous en doutez. Réaction populaire des plus sensées : la route ne se mange pas ! Le copier-coller aveugle du néo-libéralisme, doublé de népotisme avec la théocratie en arrière-plan, s’est avéré scandaleusement néfaste dès 2007. La disparité des revenus par ménage a commencé, par exemple, à se creuser vicieusement. En tirant la sonnette d’alarme en haut lieu et dans les médias à l’époque, je n’avais récolté que mépris et menaces. Quand le riverain se sent assimilé à son propre zébu en train de regarder défiler les 4x4 à 130 km/h vers Nosy-Bé sur l’excellente RN6, … Pourquoi s’étonner de se faire vomir en 2009 ? Parlons à peine du régime actuel qui n’excelle que dans le paraître et l’usurpation au détriment de l’être et de l’authenticité. Tsikalakalam-pihavanana, les apparatchiks de la HAT savent-ils ce que c’est ? Je crains que leur éducation ne se soit bloquée sur le tsikalakalam-bola ! 
Sur votre blog, vous parlez du Malagasy immobile et inexpressif quoique vigilant et attentif. Comment cela est-il arrivé ?
Depuis les temps immémoriaux, celui de Lémuria comme repère, l’inconscient collectif malagasy scintille d’un éclat de sagesse vivifié au fil du peuplement : vazimba, austronésien, malais, hindou, juif, arabe, africain, européen, indo-pakistanais, chinois, … Et j’en oublie. De quoi désarçonner les observateurs habitués à interpréter fébrilement des traces de civilisation matérielle ! Notre authenticité est inscrite dans nos cellules pour s’exprimer à travers notre sens aigu de la spiritualité. Elle ne peut se figer dans les vitrines d’un musée pour s’exposer comme un banal objet de curiosité. Face à la décadence actuelle, sommes-nous lâches ou masochistes ? Stoïques ou indifférents ? C’est peut-être tout ça confusément. Mais avec un petit plus à côté, un bonus qui fait notre différence. Nous sommes croyants. « Andriamanitra tsy andrin’ny hafa, andrasantsika hatrany. » La sagesse, générée par la foi, permet de se concilier le temps. Cela a un nom, l’espérance.
N’est-ce pas le résultat de trois années de crise ? Ou de cinquante ans d’errements ?
Arrêtons de nous focaliser sur nos quelques cinquante années d’indépendance. Pourquoi qualifier d’errements ce qui n’est qu’errance ? Pardonnons-nous ce genre d’offense qui consiste à nous culpabiliser en dénigrant systématiquement notre passé. Débarrassons-nous de tout stigmate si nous voulons avancer. La crise actuelle est fatalement dans l’ordre des choses. Nous nous complaisons, quelques fois malgré nous, à penser : « Crise, crise, et crise ! ». Et voilà le résultat, nous nous engluons effectivement dans la crise. Trouvons-lui donc une utilité, celle d’apprendre à changer. La loi d’attraction universelle veut qu’il se produise ce que nous pensons, disons et faisons. Soyons désormais résolument positifs et uniquement constructifs. Essayons et nous le verrons. Je tiens le pari à ce sujet. Même à vingt millions de compatriotes contre un. Êtes-vous preneur ? (sourire)
Quelle serait selon vous, la meilleure manière de vivre ou de survivre à cette crise ?
Parlons plutôt de vivre que de survivre, voulez-vous ? Nulle raison de s’effrayer. Envisageons la situation actuelle sous ses meilleurs aspects. Les activités professionnelles ralentissent-elles ? C’est du temps et de l’attention à offrir au foyer. Le budget du ménage devient-il maigrichon ? C’est le moment d’adopter un genre plus sain d’alimentation. Le carburant est-il hors de portée ? Autant marcher, c’est meilleur pour la santé. Au lieu de s’épuiser à souffrir du manque, saliver d’avance pour l’imminence de l’abondance. Sourire et rire des bêtises des politiciens, les bénir plutôt que les maudire. Sentir et penser, dire et écouter, agir et réagir… Unique ligne de mire : toujours positif.
Vous êtes aujourd’hui à la tête du mouvement humaniste FAMà. Comment vous situez-vous par rapport à la Transition ?
Dès le 06 juillet 2009, tout en annonçant publiquement notre propre candidature aux présidentielles, nous avons revendiqué la tenue des élections. Jusqu’à maintenant, nous patientons. Nous sommes de l’opposition mais résolument hors toute mouvance ou plate forme. Aucun ministre, ni CST, ni CT. C’est un choix délibéré. À chacun, son éthique. L’ancien boss d’Iavoloha a-t-il lâchement détalé en 2009 en semant la zizanie derrière lui ? Faisant fi de toute rancœur personnelle, nous lui avons couvert ses arrières malgré les gros dangers courus. Il fallait absolument atténuer la menace sur la paix civile. Conséquences: mandat d’arrêt, heureusement non-exécuté, et autres désagréments fastidieux à énumérer ! Nous l’attendons de pied ferme cet allumeur de bagarre qui compte ne jouer les héros que bien après le chaos. On se verra aux élections. Elles solderont les comptes et sonneront aussi le glas pour les prédateurs actuels de la Nation. 
Quelle serait la solution à la crise, pour l’anthropologue que vous êtes ?
Pourquoi l’anthropologue, comme vous dites, trouverait-il spécialement des solutions miracles ? Si mes pairs, et de loin meilleurs que moi, se taisent jusqu’à présent, je ne m’aventurerai pas non plus à me prononcer en tant que tel. Tout le monde se persuade qu’il n’y a que les élections pour clôturer ce chapitre vécu depuis 2009. Comment y parvenir ? Laissons la HAT, ses partenaires et ses alliés autant que ses ennemis et ses adversaires, en décider. Je demeure toujours « immobile et inexpressif quoique vigilant et attentif ». Je suis zen. J’attends mon heure. Elle commencera normalement avec les élections. À moins que les circonstances n’en décident autrement. Là, on avisera. Comme disent les musulmans : Inch Allah, à la grâce de Dieu.
En juillet 2009, vous annonciez votre candidature aux présidentielles pour un mandat unique. Vahömbey, président de la République, quelles seraient ses priorités ?
En ce qui me concerne, exercer un unique mandat est suffisant. Priorité à la paix sociale et la quiétude pour le pays. Redonner confiance aux citoyens et les encourager à s’investir à fond pour la Nation afin que celle-ci prospère enfin. Pour y parvenir, premier impératif : la bonne gouvernance. La Haute Cour de Justice est à installer d’emblée avec les mesures nécessaires pour que son indépendance soit inviolable. Tout le monde sans exception se soumettra à la Loi. À commencer par le Président de la République qui se comporte d’abord en premier serviteur de la Nation avant de prétendre s’imposer comme Chef d’État. Je serai donc intraitable en matière de corruption et d’injustice. Parole d’honneur ! Deuxième impératif : la transparence. Chaque ariary de l’État sera comptable. Personne ne se dérobera aux obligations d’audit qui lui seront imposées. Comme le contribuable est le principal actionnaire de l’État, les comptes doivent lui être rendus avec un maximum de clarté. C’est son droit absolu. Ainsi honoré, il s’acquittera de son devoir avec plus de conviction. Ces mesures basiques comptent parmi les principales clés accrochées à notre trousseau du développement. S’y rajoutent d’autres comme le recensement général de la population et la mise à jour de tous les indicateurs nécessaires. Tout sera à étaler à plat sitôt la parenthèse 2009 fermée. Se clarifier une vision synoptique des réalités aidera à mieux hiérarchiser les priorités.
Quels sont les fondements du programme politique que vous avez publié en novembre 2011 ?
FAnambinana MAdagasikara - FAMà, mouvement humaniste, se situe politiquement à gauche. Aussi, la justice sociale est-elle notre cheval de bataille et le plein emploi productif balisé par le travail décent, notre gageure. Bâtir le tanin-taranaka est, pour nous, un idéal qui invite à se préoccuper de l’épanouissement des jeunes. D’où l’importance accordée aux trois volets de l’éducation: formelle, non-formelle et informelle. Pour que la perspective du développement s’élargisse correctement, il faut soutenir la recherche conventionnelle et non-conventionnelle ainsi que la créativité en général. Des efforts seront déployés pour atténuer toute forme de discrimination, notamment en terme de genre. Nous saurons faire preuve de vigilance pour la sauvegarde de l’environnement naturel et la gestion du domaine foncier. La terre est plus qu’une mère nourricière pour nous Malagasy. C’est le socle de notre symbolique du sacré.
Une vision politique fondée sur le culturel dans une société en perte de repères, n’est-ce pas trop ambitieux surtout pour un unique mandat présidentiel ?
“ Mpiandry omby volavita, tsy tompony fa mpamerina an-dohany”. Le gardien du zebu sacré n’en est pas le propriétaire. Il est simplement celui qui le remet dans le droit chemin. Seul Dieu, Père-Créateur, détient le pouvoir sacré évoqué par la caractéristique particulière du zébu. Le gouvernant auquel il le confie n’a comme mission que de l’exercer provisoirement pour le bien du peuple. Dans ce contexte, peuple signifie ambanilanitra, ceux qui sont sous le ciel, c'est-à-dire sous la protection du ciel. Et non vahoaka, la foultitude au statut indéfini. Assumer le rôle de Président de la République, dans cette optique, n’est ni un sacrifice ni un devoir. C’est juste un service, celui de frayer la voie pour l’avènement du Maha-Olona à Madagasikara. Autrement dit, aider les ambanilanitra à émerger du brouillard et à lustrer les repères maculés par l’histoire pour les faire briller sur la place centrale du village global. Préparons-nous pour l’envol d’une telle ambition pour la Nation. Le compte à rebours a déjà été déclenché. Prêtez attention à votre silence intérieur et vous l’entendrez.
Comment vous assurez-vous de l'aboutissement de ce projet ?
Depuis des siècles que nous patientons dignement, la situation internationale n’a jamais été aussi favorable pour nous qu’aujourd’hui. La financiarisation excessive de leur économie fragilise de plus en plus les puissances dominantes qui finiront par tempérer leur arrogance à notre endroit. Il est temps de se repositionner intelligemment sur l’échiquier des rapports de force. L’équilibre mondial est à la recherche d’un meilleur point d’appui et d’un nouveau paradigme macroéconomique. Le new deal keynésien (2) compte actuellement parmi les alternatives les plus séduisantes. À nous désormais, de déterminer une politique financière en cohérence avec la politique budgétaire et d’investissements publics à la taille de notre prise d’élan. Une stratégie de relance par les salaires sera donc privilégiée malgré la frilosité prévisible de certains milieux financiers. D’autant que notre trilogie « mieux-vivre, développement et prospérité » aura à résoudre l’équation fétiche de tout gouvernant idéaliste de gauche : une croissance sans inflation avec un taux d’emploi élevé. Pour y parvenir, nous ferons preuve de pragmatisme. D’une part, en collaborant étroitement avec la société civile. Et de l’autre, en considérant à juste titre les critiques de l’opposition. Humanistes, nous détenons la clé pour faire avancer les gens et bouger les choses : l’affect.
Vahömbey, ce nom a-t-il une signification particulière ?
Le vahömbey est un aloès endémique du sud de Madagasikara, surtout l’Androy. Il s’utilise pour la pharmacopée locale et constitue la symbolique du sacré quand il se retrouve au coin nord-est d’un village. Il représente dans ce cas précis le lien entre la terre et le ciel.On me l’a suggéré comme nom de guerre au sortir de mon apprentissage initiatique auprès des pratiquants ésotéristes et des guerriers issus de ma famille antandroy. Je l’ai adopté par la suite comme nom d’artiste. Je tiens à faire honneur à la noblesse de sa signification et à la profondeur de son sens. C’est ce nom qui me porte, et non l’inverse. Le respecter intimement en tant que nom d’un président de la République sera donc pour moi un impératif absolu. Rien que pour continuer à le mériter dignement, je me promets de sortir de mon mandat présidentiel la conscience claire et le cœur léger. Le concept de Vahömbey, sans faire référence au personnage ni à la personnalité, est synonyme de Sacré.
Le 21 décembre 2012, jour de la fin du monde. Y croyez-vous ? 
Demain ou à cette date-là, peu importe. Toutes les grandes civilisations, dont maya, en ont parlé depuis très longtemps. C'est l'avènement d'un monde nouveau. La pendule atteint la fin de sa course vers le mal et revient dans le sens du bien. C'est ce qui expliquerait le bouleversement actuel. National comme international. Il suffit pour chacun de se préparer convenablement. Apprendre à vivre, c’est se tenir prêt à mourir à tout instant. Personnellement, je crois plus à la prophétie de l’amour et de la vie qu’à celle de la haine et de la mort. L’amour l’emporte toujours sur la mort. C'est juste la fin d'un cycle et le début d'un autre. La transition peut aussi s'effectuer tout en douceur.



(1) Concept en vigueur à l'Académie Malagasy depuis une dizaine d'années.

(2)  “Redistribution, global imbalances and the financial and economic crisis”, international  journal of  labour  research, 2011 / Volume 3 / Issue 1, International Labour Organization, Geneva, 2011. Author: Eckhard Hein, Berlin School of Economics and Law.



Source de la publication: blog de Haingo RARIVOSON, journaliste à l'Hebdo de Madagascar. 

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